ENCYCLOPEDIE UNIVERSELLE
Les Métamorphoses d'Ovide
Ovide, Publius Ovidius Naso (43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.), reprend dans ses Métamorphoses un thème classique de l'Antiquité : le récit des transformations d'hommes en bêtes, en objets inanimés, parfois en forces de la nature. Le texte en est un long poème de douze mille vers, divisé en quinze livres, et relatant deux cent quarante-six histoires de métamorphoses. L'ordre en est chronologique : commencées avec le chaos des origines, Les Métamorphoses s'achèvent en évoquant l'ascension de César, métamorphosé en étoile, et le principat d'Auguste.
1. Le cycle des métamorphosesIl est particulièrement difficile d'envisager un résumé des Métamorphoses, tant l'inspiration poétique s'y montre protéiforme. Ovide y traite des dieux, puis de la venue à l'existence des hommes, par groupes de fables rassemblées selon un ordre chronologique ou topographique. L'ensemble de la mythologie gréco-latine est évoqué, au travers des destins de Lycaon, Deucalion, Phaéton, Narcisse, Arachné, impudents défiant les dieux, ou d'êtres purs, tel Hermaphrodite séduit finalement par Amalcis. Car la séduction, le désir, l'amour parcourent Les Métamorphoses, comme en écho à L'Art d'aimer, l'œuvre qui apporta au poète la gloire et l'exil.
Tout en mettant en scène des centaines de personnages, Ovide parvient à donner à chacun un relief psychologique, une dimension humaine, depuis la naïve Thisbé devenue une impudente, jusqu'à Persée dominé par l'amour d'Andromède. Il excelle à peindre le jeu des passions humaines, sa palette s'y montre d'une variété extrême, tout en gardant à l'esprit le sens profond de la métamorphose, qui est le maintien de la permanence de la vie, d'une forme à une autre. Les Métamorphoses ne prônent aucune morale de la transformation. Ovide est trop sceptique pour s'y livrer, mais chaque fable met en lumière un intérêt psychologique, depuis Philémon et Baucis jusqu'à l'apothéose d'Auguste : « Jupiter gouverne les hauteurs de l'éther et les trois royaumes du monde ; la terre est soumise à Auguste ; chacun d'eux est le père et le souverain de son empire. » De fait, l'œuvre est imprégnée de l'atmosphère d'indifférence à la vie politique qui marque l'époque, et du scepticisme religieux propre au milieu de la cour impériale. Les héros d'Ovide sont en effet proches, dans leurs passions, de ces contemporains que le poète fréquenta jusqu'à ce qu'il fût contraint à l'exil.
2. Une analyse des passions humainesPar la bouche du philosophe Pythagore, Ovide nous indique, au livre XV des Métamorphoses, la finalité de l'œuvre entreprise. Pythagore y évoque l'interdit pesant, dans le groupe de ses fidèles, sur la consommation de viande. Puis il développe un discours sur le devenir du monde et enfin la métempsychose, ou transmigration des âmes de corps en corps : « Pour les âmes, elles ne sont pas sujettes à la mort ; quand elles ont quitté une première demeure, elles vont toujours vivre dans de nouveaux domiciles et elles continuent à les habiter une fois qu'elles y sont entrées. » Le passage d'un corps humain à une enveloppe animale, végétale ou minérale justifierait à lui seul le parcours entrepris au long des Métamorphoses. Mais Ovide ne vise pas à se faire le porte-parole de Pythagore ; son propos poétique se veut plus vaste. De même que L'Art d'aimer enseigne à plaire, Les Métamorphoses s'efforcent de distinguer, sous les apparences multiples, le visage de l'amour et la permanence de ce qui est propre à l'exaltation des passions humaines. C'est donc une épopée véritable, regorgeant de mythes grecs, de fables romaines, et d'un fonds populaire de légendes orales, le tout organisé par un travail poétique qui fait appel à la tradition tragique, élégiaque ou épique. Compte tenu de la richesse de la palette ovidienne, de son goût pour le merveilleux, on a pu évoquer dans son œuvre un certain baroquisme, un foisonnement qui pourrait justifier le reproche d'une composition trop chargée. Ovide pallie lui-même cet inconvénient, par le choix d'une unité de forme ou de tonalité fortement marquée, en ordonnant ses fables par groupes homogènes.
La pérennité de l'œuvre d'Ovide a été assurée notamment par le Moyen Âge, particulièrement au cours des xiie et xiiie siècles, lorsque la légende fit de l'auteur un saint magicien. L'ampleur de son exposé de la mythologie classique inspire ensuite écrivains et poètes de la Renaissance, avant que Picasso n'illustre certains épisodes des Métamorphoses, et que la psychanalyse ne s'empare de ses héros pour donner leur nom à des complexes ou à des catégories de comportements. Notre pensée quotidienne reste ainsi tributaire des vers chantés par Ovide, dans une proximité souvent inconsciente.
Jean-François PÉPIN