Livre(s) présent(s)

Je ne vois pas bien la pertinence de votre remarque à propos de Nietzsche sinon une sorte de snobisme tout à la mode des jeunes prétendus intellectuels du XXIe siècle à qui l'on mâche tout le travail philosophique et qui, depuis ces gélules du nec plus ultra (ou du ce qu'il faut savoir) de la philosophie, ignorent en fait tout de ses véritables fondements. Si vous voulez avoir un avis en philosophique un jour, qui ne soit ni ridicule ni pompeux, écoutez les quatorze CD des cours de Michel Onffray à l'université populaire sur la Contre Histoire de la Philosophie. Vous y découvrirez d'abord que Nietzsche, s'il est souvent cité, n'est qu'un Hermès de pensées bien plus anciennes qu'il a véhiculées, assimilées et présentées sous forme de systèmes simplifiés pour nous, pauvres occidentaux stupides en plus d'être ethnocentrés. Oui, c'est un penseur important, et c'est tout. Il se retourne dans sa tombe d'être devenu le penseur mascotte des petits cons cyniques qui le citent parce qu'ils ne connaissent rien à la pensée philosophique, son histoire et sa grâce - lui qui s'est fait un historien philosophe, mythologue et poète. Mais je suppose que ça doit faire très classe de pouvoir dire à dix-huit ans "livre de chevet : Ainsi parlait Zarathoustra". Vous m'expliquerez, à l'occasion, de quoi parle ce bouquin, ce qu'il dit, pense, rêve et, surtout, ce qu'il est. Avec des amis, c'est devenu notre détecteur de cons, ça, les types ou les nénettes dans les soirées qui citent Nietzsche.

Suu a écrit:

Alors, pour me perfectionner dans l'écriture j'ai pris la bonne initiative de relire les classiques.

Détestable motivation.


Quant à Proust, on dit que Joyce et lui ont épuisé le genre du roman, en l'entrée du XXe siècle. Il faut, et je vous fais à cela confiance, posséder quelques notions d'histoire littéraire en se souvenant que le roman n'est à la mode que depuis un peu plus de cinquante ans, en la bonne société française. Je ne parle que des auteurs français. Il faudra que des auteurs comme Aragon se tournent vers la poésie pour ressourcer le genre et permettre aux écrivains de ne pas mourir d'une crise de foi après Joyce et Proust. Je n'ai jamais lu Proust - même pas un extrait. Un de mes enseignants, prof de philo et responsable de l'UFR de Philo (et celui, au passage Pashipae, qui m'a enseigné Nietzsche trois mois durant) m'a dit un jour dans un mail "Lisez Proust le plus tard possible : vous aurez alors encore la chance de lire Proust pour la première fois, c'est un cadeau merveilleux." Sauf que je le connais un peu, nécessairement, et qu'il n'a jamais été pédant. Il a complètement raté sa vie, naufrage sur naufrage, avec les femmes, le monde, avec tout. C'est un grand brimé, un raté. Point. Il prend la plus lumineuse et scandaleuse des revanches grâce à sa Recherche, dont il n'a pas terminé la rédaction (ce sera son frère qui rédigera le ou les deux derniers tomes à partir des brouillons de Marcel, c'est la dernière grande découverte universitaire). J'aime bien aimé, Dr Jeckyll, le masculin de méconnu tant il est probablement vrai dans votre coin de pays que Molière est méconnu.

Je viens de terminer le tome I de la Pléiade de Goethe, oeuvres romanesques, je dois, pour les cours, connaître à peu près par coeur Les Yeux d'Elsa, du coup j'écoute Ferrat à longueur de journée, je potasse la préface de la Pléiade du tome I de ses oeuvres poétiques, et j'apprends la vie d'Elsa Triolet, de Breton, de Drieu La Rochelle, d'Eluard, bref, je m'éclate. Mais m'attend sur l'étagère un paquet de livres offerts par ma belle mère, du Melville et du Guilloux, lequel dernier tenait vraisemblablement une correspondance avec Camus, dans laquelle on parle de Melville. Je ne connais pas du tout, je me penche dessus dans le week-end, je suppose. Du marin, je n'ai lu que Bartleby il y a deux semaines, offert par la fille de ladite belle-mère, parfaitement excellent, je le conseille aux gens non snobs qui veulent rester rêveurs après une prestation littéraire d'une virtuosité étourdissante.