[Oeuvres] "Voyage au bout de la nuit" et "L'Adieu aux armes"

Hello you all !
Je viens de m'acheter Voyage au bout de la nuit de L.F. Céline, et L'Adieu aux armes de E. Hemingway. Pourriez-vous me parler un peu de ces œuvres et-ou de ces auteurs, si vous les connaissez ? J'aimerai surtout votre point de vue personnel, et puis je pense que je viendrais noter ici mes impressions de lecture.
A bientôt !

Parles-tu bien de Ernest ?
De E. Hemingway, j'ai lu Le Vieil Homme et la Mer et j'avais bien aimé. C'est certes la même action durant presque tout le récit mais j'avais ressenti le livre ; j'avais voyagé aux côtés du pêcheur et j'avais vécu son aventure, chose que je ne ressens que très rarement. Je pense que Hemingway te fera une sensation similaire. C'est un bon auteur et ça se lit bien.

Après je n'en sais pas plus mis à part qu'il s'est suicidé, que Céline était antisémite.

Bonnes lectures.

Céline, antisémite... Hé! Ne pas parler de l'auteur, mais bien de l'oeuvre monsieur Frocker!

Alors, Céline, il faut l'avoir lu, il faut en passer par là, mais je l'ai vécu comme une épreuve, ce voyage... Evidemment, le style est éblouissant (littéraire, Beau), mais il plonge dans la cradeur humaine, il gratte sous les côtes et grise toute l'atmosphère. Un très grand mépris pour la race humaine (des piques notamment envers noirs, femmes et juifs, mais tous sont également souillés). Après... On n'en ressort pas indemne, mais c'est une grande expérience. Un regard, aurais-je l'habitude de dire, et un regard salement dérangeant (parce que véridique?).

Citation :

Céline, antisémite... Hé! Ne pas parler de l'auteur, mais bien de l'oeuvre monsieur Frocker!

Bon, bah les gens qui le lisent, ils pleurent. Je ne dis pas d'où je tiens mes sources.

Ah il est bien tard, et il faut dire que j'étais au lit bien au chaud, mais il y a un livre qui m'a tenu en haleine jusque là, et il fallait que je vous en fasse part, de mes impressions, comme je vous l'avais promis ci-dessus. Vos deux interventions conjuguées, à toi Frocker, et toi Pasiphae, m'ont entraîné vers Voyage au bout de la nuit, et je dois dire que c'est passionnant. Non, pas de cette passion enthousiaste et énergique, mais de cette passion lourde et terrible, car il est question de guerre. Nous sommes en 1914, et mieux que quiconque L.F. Céline est parvenu à me lancer dans ses affreuses affres et affaires. Son personnage principal, narrateur, me paraît d'une humanité profonde ; humain, trop humain... face à l'effroi et l'horreur, il en vient à souhaiter le pire sans état d'âme, complètement détruit. Il n'y a plus de morale, il n'a plus de moral, à quoi bon. L'existence épurée des sentiments. C'est monstrueux, et pourtant saisissable. Le concept n'est pas romantique, on n'a pas affaire à un ténébreux. Mais on se trouve en compagnie d'un miséreux qui est tout misère et rien que misère et haine et dédain. Une vie burinée violemment. C'est beau. Une fois habitué au style, c'est beau, et c'est pur. De la littérature pure. Bref, de l'art.

Je m'attendais à un roman de guerre, et il était ainsi parti pendant les 70 premières pages sur 500, mais il s'est passé quelque chose de tout à fait singulier. Notre personnage principal et narrateur, Ferdinand Bardamu, a eu droit à une permission à Paris. Il vit dans la terreur de revenir au front. Tel qu'il le dit lui-même et l'assume, c'est un lâche, un peureux, ce qui lui donne un recul sévèrement critique sur tout le patriotisme trop enthousiaste à l'arrière, où il est malséant de penser autrement. Or il nous pète un câble, terrorisé, en public, si bien que le voilà interné, et ce n'est que le début d'une longue réflexion bureaucratique pour savoir, comme d'autres, si on le renvoie au front ou pas. Et voici pas bientôt qu'on l'oublie et qu'on le relâche, et qu'il s'en va pour l'Afrique dans une colonie du Congo. Le cadre temporel est si peu précisé qu'on ne sait plus si la guerre se poursuit, ou si l'on est au-delà. Mais les colonies, c'est l'enfer aussi.

Alors oui, des scènes sordides ont lieu avec "les nègres", de même que les Anglais et les Russes à Paris s'en prenaient plein la figure de la part de notre Bardamu. De toutes façons, c'est un misanthrope pas misogyne, qui n'aime que ça peau. "C'est biologique." Et dans la trivialité, la matérialité et la brutalité du monde tel qu'il le vit, ainsi que ses pensées telles qu'ils se les fabriquent, il n'y a plus de place pour autre chose que "la pratique" qui discrimine tout entre valable et pourri. La pourriture, ce sont ceux qui ne s'intéressent pas à "la vérité", mais qui fabulent (les classes moyennes, les riches, les patriotes, les gouvernants...). Lui, dit-il, il veut la vérité, et sa vérité est plus que jamais tirée de la misère.

Pourtant, les scènes et les avis sordides qu'il émet, sont cohérents avec l'esprit du temps, son tempérament et la tournure des réflexions qu'il se fait. Jusqu'à présent, je ne peux pas le qualifier de raciste. C'est un salaud à n'en pas douter, dans la saloperie du monde qu'il expérimente et qui pour lui est courant. Je pense qu'il faut ici faire comme Albert Camus : "Comprendre, et ne pas juger." ... Bien sûr c'est dégueulasse, bien sûr cela heurte notre bon goût, bien sûr la bienséance humanitaire et universaliste de ce début de IIIème millénaire est indignée. Cela ne change rien à l'affaire, et cette affaire c'est un roman, qui a pour cadre spatio-temporel le monde début XXème, avec ses formes de pensées. On sait bien que l'Action Française (extrême droite d'alors) n'a réellement pris du plomb dans l'aile qu'avec Vichy, dont le gouvernement était saturé.

Mais on sait bien que l'extrême droite, c'est le populisme, les pensées populaires qui attaquent tellement sommairement la société, que c'en devient efficace par économie intellectuelle ; tandis que l'humanisme tel que nous l'entendons aujourd'hui réclame des efforts, en plus d'être bouffé par un moralisme qui parfois me pose question. En ce sens, lire Voyage au bout de la nuit nous donne à penser qu'on est aujourd'hui dans d'autres espèces de délires, parfois.

C'est génial : la description qu'il donne des États-Unis est digne d'un roman de science-fiction. A ses yeux, c'est un monde incroyable.

Arrivé vers la page 270, je ne vois pas en quoi Céline peut être taxé de raciste : son personnage principal sympathise avec toutes les catégories de personnes qu'il rencontre ; sauf les non-miséreux. A la limite, il est raciste de la richesse.

C'était bien pour finir ? (on sait jamais, que tu ais changé d'avis vers la fin)

Je le lis mollo en ce moment. Page 400 et des poussières, sur 500. Je n'ai pas changé d'avis. Que Céline ait applaudi le nazisme est à mon avis une affaire de goût populaire, déjà présent, qui trouve un discours acceptable dans le populisme nazi. Paix à son âme.

Sizif a écrit:

Je le lis mollo en ce moment. Page 400 et des poussières, sur 500. Je n'ai pas changé d'avis. Que Céline ait applaudi le nazisme est à mon avis une affaire de goût populaire, déjà présent, qui trouve un discours acceptable dans le populisme nazi. Paix à son âme.

Je ne faisais que répéter ce que j'avais lu ailleurs (à propos du nazisme). Pasiphae avait raison.
Je tenterai Céline dans quelques mois sans doute pour voir ce que c'est.

Enfin moi, au plan littéraire, je ne peux plus lire que les classiques de la littérature internationale et française. Éventuellement, de bons contemporains, et si rares. Le reste m'ennuie. Un roman policier, de fantasy, etc. ou bien un "petit roman" façon de parler, c'est plus mon kif. C'est personnel, et je ne dis pas que c'est là le goût absolu. Mais bon. Il faut dire que le temps me manque pour lire autre chose que la crème des crèmes.

Eh bien, je l'ai terminé, ce voyage. C'est un roman magnifique, et puissant. Effectivement on voyage : des champs de guerre aux colonies françaises du Congo, et de là à New York, et de New York à Paris (Rancy) où notre narrateur devient médecin, et puis à travers son expérience de médecin, après à Toulouse, enfin à Paris de nouveau (Vigny) où il exerce comme aliéniste, d'abord employé, enfin coresponsable de la structure, jusqu'à un drame final tiré de Rancy et de Toulouse comme une casserole du passé. Avec toujours cette vision du monde et des Hommes extraite ardemment de la misère, qui mûrit avec l'âge du narrateur, et puis ce regard dans la nuit. Nuit qui acquiert la dignité d'un concept philosophique, pour ainsi dire. Nous devinons bien de quoi il est question. Vive Voyage au bout de la nuit !

Ça y est, je pars sur L'Adieu aux armes de E. Hemingway. Arrivé à la page 28. Écriture vive, sèche, nerveuse, voire brutale. Très rapport militaire, ou journalistique. Hemingway compte beaucoup sur la faculté de représentation de la scène du lecteur, sa capacité à donner vie aux personnages sans la moindre information à leur sujet, juste en suivant le fil de leur discussion. Beaucoup à deviner. C'est délicieux.